RH & QVT

Harmoniser l'innovation et le bien-être au travail

Les entreprises peinent à concilier innovation technologique, santé mentale et cohésion sociale, tandis que l’intensification du travail et l’individualisme s’installent insidieusement. Pourtant, certains acteurs, comme le cabinet Lüman, s’imposent en pionniers pour accompagner dirigeants et collaborateurs dans ces transformations complexes. Rencontre.

Informations Entreprise : Comment les entreprises peuvent-elles concrètement redéfinir le contrat psychologique avec leurs collaborateurs ?

Florent Voisin (Psychologue du travail et Directeur du Cabinet) : Aujourd’hui, nous assistons en effet à une redéfinition du contrat psychologique entre les collaborateurs et les entreprises. Ce contrat, qui dépasse les clauses formelles d’un contrat de travail, englobe des attentes implicites des deux parties. Pour les collaborateurs, il peut s’agir de flexibilité, de perspectives de carrière, ou encore d’un environnement relationnel agréable. Pour les employeurs, cela inclut souvent l’engagement, l’innovation ou la loyauté. Or, ce contrat implicite est peu exploré dans les entreprises, créant parfois des malentendus qui nuisent à la relation de travail.

Par ailleurs, les interactions intergénérationnelles au sein des entreprises amplifient ces incompréhensions, car chaque génération a des attentes différentes. À cela s’ajoute un contexte global anxiogène – entre les crises économiques, sanitaires et géopolitiques – qui pèse sur le climat au travail. L’individualisme croissant dans nos sociétés complique encore la cohésion des collectifs de travail. Pourtant, le soutien social au sein de l’entreprise est essentiel pour réguler l’anxiété et renforcer le bien-être. Malheureusement, l’absence de ce soutien aggrave le sentiment d’isolement et de mal-être des collaborateurs.

Florent Voisin
Florent Voisin

I.E : Quels leviers les entreprises peuvent-elles actionner pour intégrer l’IA tout en minimisant les impacts négatifs sur la santé et la qualité de vie des collaborateurs ?

Florent Voisin : L’impact de l’intelligence artificielle (IA) sur le travail est encore largement sous-estimé par de nombreux salariés, bien que ses effets se fassent déjà sentir dans certains métiers. Par exemple, les juristes, pourtant perçus comme exerçant des professions hautement qualifiées, ont vu leur activité transformée par des systèmes experts depuis plus d’une décennie. Ce phénomène pourrait également concerner des métiers d’aide et d’accompagnement, traditionnellement considérés comme profondément humains et irremplaçables, bien que je ne m’avancerais pas à l’exclure.

Dans les environnements où l’automatisation est déjà bien implantée, comme la logistique, on observe une transformation du travail humain. Ce qui reste à la charge des collaborateurs concerne des tâches souvent répétitives, peu qualifiées, et soumises à des rythmes imposés par la machine. Cela engendre des risques accrus pour la santé, notamment des troubles musculosquelettiques. Ces constats soulignent la nécessité de repenser l’ergonomie des postes et d’atténuer l’intensification du travail liée à ces nouvelles technologies.

I.E : Comment le cabinet Lüman parvient-il à concilier l’analyse du travail réel et la perception qu’en ont les collaborateurs ?

Ce qui distingue Lüman, c’est notre double expertise, réunissant ergonomes et psychologues du travail. Ces deux métiers s’intéressent au travail, mais avec des approches différentes et complémentaires. Les ergonomes se concentrent sur le travail réel, celui qui est effectivement accompli sur le terrain, souvent loin de la vision que s’en font les directions ou les managers. Depuis des années, les entreprises se reposent beaucoup sur le reporting pour comprendre leur activité, mais ces chiffres ne reflètent pas toujours la réalité du travail quotidien dans les ateliers ou les bureaux. Cela crée un fossé entre le prescrit – la manière dont le travail est censé être réalisé – et le réel, avec ses contraintes et adaptations.

Prenons un exemple courant : les systèmes d’information. Ils sont souvent perçus comme simples et efficaces, mais en pratique, obtenir des données peut impliquer des heures de manipulation sur Excel, bien loin de la vision “bouton magique” du manager. C’est là que notre approche entre en jeu. En alliant l’analyse du travail réel par nos ergonomes et la compréhension des représentations des collaborateurs via nos psychologues, nous proposons des solutions adaptées et pertinentes, qui répondent vraiment aux besoins des équipes.

I.E : Vous misez sur des outils de facilitation pour construire des solutions collaboratives. Pouvez-vous partager un exemple concret de cette approche ayant abouti à des résultats tangibles pour une entreprise cliente ?

Anaïs Ledda-Parent : Lors d’une action de formation autour du rôle du référent handicap, a été proposé aux participants de s’entendre sur une représentation commune de leur rôle. Cette action est menée dans le cadre de l’animation d’un réseau de référents, à cet effet, travailler sur une représentation commune apporte de l’intérêt car cela permet de rassembler le groupe.

Pour cela, nous avons misé sur l’utilisation de la facilitation, afin d’amener progressivement à un projet validé par l’ensemble du groupe. Cette méthode permet de faire un va-et-vient entre des propositions individuelles et des propositions collectives.

Pour ce faire, nous avions demandé aux participants de réaliser une production graphique (sans utilisation de phrase) afin de représenter toute la diversité, la complexité et les richesses en lien avec leur rôle. Puis en petit groupe, chaque personne vient présenter sa proposition, pour qu’à l’issue de cette 2ème phase, une production en sous-groupe soit réalisée. 3ème phase, un membre de chaque sous-groupe vient s’inspirer de ce qui a été produit dans les autres groupes, les personnes restant dans le groupe d’origine ayant la charge d’expliquer la production. Puis, en 4ème phase, chaque personne “volante” retourne dans son groupe, et le groupe peut éventuellement agrémenter/modifier sa production. Enfin en 5ème phase, chaque groupe présente sa production finale et individuellement un vote s’instaure afin de mettre en avant la production qui rassemble le plus de personne afin d’avoir une représentation partagée par tous.

L’avantage et la puissance de cette méthodologie est de s’appuyer de différentes manières sur les avis de tous, mais de façon plus ou moins directe. Ainsi, nous arriverons toujours à une validation par l’ensemble du groupe. De plus, la représentation finale en sera d’autant plus percutante.

Dans le cas présent, la production a eu une telle résonance qu’elle a été utilisée à un niveau national. Côté formateur/facilitateur cela implique d’être au clair sur les étapes par lesquelles les participants vont passer, et d’accepter de ne pas être “maître” de la finalité.

Anaïs Ledda-Parent
Anaïs Ledda-Parent

I.E : Comment percevez-vous l’évolution de votre marché, notamment concernant la technologie ?

Florent Voisin : Dans toutes nos interventions, nous veillons à impliquer les élus des CSE, car ils jouent un rôle clé dans le changement en entreprise. Souvent, ce sont eux qui impulsent des études, notamment sur les risques psychosociaux, et alertent sur les dangers auxquels les collaborateurs peuvent être exposés. Leur implication est essentielle, d’autant plus face aux défis posés par les outils numériques et l’intelligence artificielle (IA).

Nous menons actuellement une étude sur l’impact de l’IA, en intégrant le dialogue social dans son déploiement. Les partenaires sociaux, grâce à leur connaissance approfondie du terrain, nous aident à anticiper les effets de ces technologies sur les métiers. Si l’IA et les outils numériques sont perçus comme des facilitateurs, ils entraînent également une intensification du travail. L’exemple des emails illustre bien cela : autrefois, les délais de réponse étaient mesurés en jours ; aujourd’hui, l’instantanéité des communications crée une pression constante. Avec l’IA, cette tendance risque de s’accentuer. Nous constatons que ces outils accélèrent le travail, mais ils modifient aussi sa nature, exigeant une confiance et un regard critique dans leur utilisation.

I.E : Quels sont vos projets ?

Florent Voisin : L’un des axes prioritaires de développement pour les années à venir concerne la montée en compétences sur la santé mentale au travail. Il s’agit de recréer du collectif et de favoriser le soutien social, éléments essentiels pour accompagner les collaborateurs en détresse. Nous nous inspirons notamment d’un programme australien de premiers secours en santé mentale. L’idée est de former des salariés, non pas à devenir des thérapeutes, mais à intervenir en urgence lorsqu’un collègue montre des signes de détresse, comme un secouriste le ferait en cas d’accident physique. Ces formations permettent de redonner de l’humanité aux relations professionnelles et de lutter contre l’individualisme croissant en entreprise.

Par ailleurs, nous travaillons activement sur les impacts des outils numériques et de l’IA, en collaboration avec l’ANACT. Ces technologies influencent profondément le travail, l’intensité du travail et le sens que chacun donne à son activité. Enfin, nous explorons également comment ces outils pourraient faciliter l’inclusion des personnes en situation de handicap. En compensant certaines limitations, l’IA pourrait devenir un levier d’intégration puissant, un sujet d’étude passionnant pour l’avenir.

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